mardi 7 septembre 2010

Domenech licencié pour faute grave : Zoom sur l'argumentation de la FFF

La Fédération française de football (FFF) a envoyé jeudi dernier une lettre de licenciement pour faute grave à son ancien sélectionneur Raymond Domenech.

On aurait pu croire que son lien contractuel avec la fédération s’était brisé au terme de la débâcle française en Afrique du Sud, ses fonctions de sélectionneur ayant pour terme établi la fin de la coupe du monde 2010. Néanmoins, il faut rappeler que son poste ne faisait en aucun cas l’objet d’un contrat à durée déterminée, mais d’un contrat à durée indéterminée duquel il est parti depuis 1993 en tant que salarié de la Direction Technique Nationale.
Dans l’hypothèse d’un CDD, les choses auraient été plus simples. Les fonctions de Domenech auraient tout simplement cessé après cette compétition et en aucun cas la fédération n’aurait eu besoin de le licencier. Mais la situation était donc plus complexe pour la FFF qui a souhaité se séparer de manière définitive de l’homme le plus critiqué de France.

Face à cette décision, on est en droit de se demander si un tel licenciement est justifié ou si cela relève d'une décision "politique" comme certains l'avancent, qui aurait pour objectif de désigner Raymond Domenech comme responsable principal de l'échec des Bleus au Mondial ? Penchons nous sur l'argumentation de la fédération en rappelant en premier lieu le fondement juridique de la faute grave.

I) La faute grave

A- Le fondement de la faute grave

Aux termes d’une jurisprudence désormais tout à fait établie, la faute grave est définie comme celle résultant de tout fait ou ensemble de faits imputable au salarié constituant une violation des obligations découlant de son contrat ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’employé dans la société concernée.
Ainsi, deux éléments cumulatifs doivent être pris en compte pour licencier un salarié pour faute grave : il doit exister une cause réelle et sérieuse de licenciement, additionnée à une faute d’une gravité telle que l’employeur doit se séparer immédiatement du salarié pour ne pas entraver la bonne marche des activités de son entreprise.
La faute grave ne requiert pas le caractère intentionnel, et le salarié peut sans le souhaiter, par son incapacité par exemple, fournir un travail incorrect dont certains agissements pourront être qualifiés de faute grave.
Les illustrations de la faute grave sont aussi nombreuses que variées.

Ainsi en va-t-il par exemple des fautes suivantes issues de cas jugés en cour d’appel ou en cour de cassation : il est admis par exemple aujourd’hui que constitue une faute grave le dénigrement des décisions de gestion ou de stratégie commerciale, l'insoumission à une sanction disciplinaire justifiée et proportionnée au grief, des propos racistes ou insultants et tous actes violents (Cass. soc. 12 octobre 2004), ou encore une insubordination (refus d’exécuter des tâches prévues au contrat ...),
A l’inverse, il est admis qu’une insuffisance professionnelle, ou encore la non réalisation d’un objectif en termes de rendement ou de chiffre d’affaires, ne peuvent en aucun cas constituer une faute grave.

B- Les implications de la faute grave

Il revient à l’employeur de prouver la faute grave en question, qui doit être démontrée par des arguments et des bases solides. En cas de doute, cela profitera toujours au salarié.
Néanmoins si la faute grave est prouvée, le salarié doit quitter immédiatement l'entreprise. Le préavis du par l’employeur au salarié n’est pas observé et les droits et indemnités qui étaient prévues par l'Article L1234-1 du code du travail sont retirés. (hormis son droit à indemnité de congés payés).
Dès lors, il est possible pour le salarié licencié de saisir la justice pour établir l’absence de faute grave et il incombe alors au juge d’exercer son contrôle pour apprécier si les faits justifiaient la qualification de faute grave invoquée par l'employeur.

II) Les faits imputés à Raymond Domenech peuvent-ils être qualifiés de faute grave ?

Comme nous l’évoquions en préambule, Raymond Domenech est licencié pour son attitude qualifiée de "grave" pendant la Coupe du Monde. La FFF reproche à l'ancien sélectionneur des Bleus le refus de serrer la main de Carlos Alberto Parreira, son homologue sud africain, le fait d'avoir lu la déclaration de grève des Bleus durant le Mondial, et enfin l'absence de compte rendu des insultes de Nicolas Anelka à la mi-temps du match France-Mexique.

Le président par intérim de la FFF, Fernand Duchaussoy, qualifie de faute grave ces faits qui seraient selon lui inacceptables, contraires à l’éthique, de telle sorte qu’ils justifient le licenciement sur le champ de Domenech. Notre questionnement est le suivant : les arguments de l’employeur qu’est la FFF peuvent-ils aboutir à une qualification de faute grave ?

A- Premier élément de réponse : La réaction tardive de la FFF

Comme nous l’avons expliqué dans la première partie, la faute grave « rend impossible le maintien de l’employé dans la société concernée ». Cette formule revêt sans aucun doute un caractère d’urgence. En effet, la faute est telle que le licenciement pour faute gave doit intervenir rapidement après que l'employeur a eu connaissance des faits, afin de sauvegarder le bon fonctionnement de l’entreprise (en l’espèce la FFF). Elle impose donc le départ immédiat, le salarié ne pouvant rester à l’effectif même pendant le temps limité du préavis. Dans ce sens, il est admis par les tribunaux que cette dernière ne peut sanctionner une faute grave que sur l’instant ou dans un délai réduit, sauf dans le cas ou une enquête est nécessaire à établir et prouver les faits reprochés. Dans le cas présent, les faits qui constitueraient la faute grave n’ont a priori nécessité aucune enquête, puisque le refus de serrer la main du sélectionneur uruguayen ou lecture de « la lettre des mutins » de ses joueurs avaient un caractère public qui a permis à la fédération de prendre note de ces faits instantanément, dès leur production.

Désormais, les faits reprochés remontent à la coupe du monde, il y a près de deux mois, or, l’absence de réaction de l’employeur, permet d'établir que l’employeur de Domenech les a tolérés.

Il semble donc que prononcer deux mois après une décision sur ce fondement limite le caractère de gravité reproché, d’autant qu’il n’exerce plus les fonctions de sélectionneur et que son départ immédiat ne semble pas justifié. Ce premier élément me semble faire tomber à lui seul les griefs de la fédération.

B- Deuxième élément de réponse : les faits en eux-même

Lorsque l’on relève les faits qui engendrent la dite faute grave, on peut se demander si une telle qualification n’est pas excessive. Il est en effet difficile de porter un jugement, car comme nous l’avons exprimé dans la première partie, il n’existe aucune liste exhaustive de faute grave et chaque situation est différente. Autrement dit, les affaires sont traitées au cas par cas par le juge et en fonction des circonstances, ce dernier peut se montrer plus ou moins indulgent.
Néanmoins on peut relever quelques points concernant les deux griefs avancés par la FFF.

Tout d’abord, est qualifié de faute grave le fait pour Domenech d’avoir refusé de serrer la main du sélectionneur Carlos Alberto Parreira à la fin du match opposant la France à l'Afrique du Sud. Afin de justifier cette qualification, on pourrait avancer que par ce refus, l’ex sélectionneur français a mis en cause la réputation de sa fédération, qui est juridiquement son employeur mais également le symbole français du football, et ce en donnant par ses actes une image néfaste du football français au monde du sport. On peut donc penser que la bonne marche de la fédération, dans le cadre de sa collaboration et ses relations avec ses homologues étrangères pourrait être mise en danger, ce qui justifierait l’impossible maintien de son salarié au sein de la FFF.

Deuxième piste à étudier, Fernand Duchaussoy a publiquement reproché à Raymond Domenech un comportement contraire à l’éthique. Cet argument me semble délicat à utiliser par les avocats de ce dernier, « l’éthique » étant un terme large, de plus en plus utilisé, mais sans réelle base juridique. Néanmoins l’on peut avancer que son comportement allait à l’encontre des obligations résultant de son contrat de travail, puisqu’on imagine que le poste qui lui avait été confié depuis 2004 requiert une capacité de discipline, d’exemplarité et de respect qui incombe à tous et particulièrement aux individus qui véhiculent des valeurs sportives.

En deuxième lieu, il est reproché à Domenech d’avoir lu la lettre des mutins, expliquant la grève des joueurs quelques jours avant le match ultime de l’équipe, ainsi que de n’avoir pas informé la fédération des évènements survenus à la mi-temps du match France-Mexique.

Il semble que pour la FFF, ces deux éléments s’apparentent à des faits inexcusables, certainement dans le sens où les dirigeants fédéraux considèrent qu’il n’a fait qu’envenimer une situation très difficile, ce qui a entravé le bon fonctionnement de cette dernière. Cette justification est donc envisageable. Malgré tout l’on peut penser qu’en agissant de la sorte, le sélectionneur souhaitait assouplir ses relations tendues avec son équipe afin de retrouver une relation avec les joueurs pour le dernier match de poules, et que si la France s’était finalement qualifiée, les compromis établis par Domenech auraient été positivement relevés.

Il semble évident que l’ancien sélectionneur de l’équipe de France saisira prochainement le Conseil des Prud’hommes et que ses avocats ne manqueront pas d’arguments pour faire annuler cette qualification de faute grave et lui restituer ses droits et indemnités.

Affaire à suivre…


1 commentaire:

  1. Nous allons voir ce que les jours prochains diront.. comment les prud'hommes vont se positionner etc..
    article très intéressant encore une fois en tout cas bravo !

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